(CNN) – Qu’ont en commun deux grandes compagnies aériennes nationales, une marque de mode de détail américaine, une grande société industrielle cotée en bourse, un film hollywoodien et plusieurs œuvres littéraires primées?
Ils sont tous liés à l’héritage extraordinaire d’une compagnie aérienne qui a cessé d’exister il y a 90 ans cette année.
Malgré son existence relativement courte, de 1918 à 1931, la «Compagnie générale aéropostale», communément appelée simplement Aéropostale, a laissé une empreinte indélébile, tant dans le monde de l’aviation civile que dans l’imaginaire public.
Dès la fin de la Première Guerre mondiale, le pionnier français de l’aviation Pierre-Georges Latécoère a réalisé sa vision d’établir une liaison aérienne régulière transportant le courrier entre l’Europe et l’Amérique latine.
La société connue sous le nom d’Aéropostale a été fondée à la fin de 1918 sous le nom officiel de «Société des lignes Latécoère».
Au cours de la prochaine décennie, cette entreprise contribuera non seulement grandement à la consolidation de l’aviation en tant que service essentiel dans différentes parties du monde, mais elle deviendra également synonyme d’aventure et de courage. L’histoire d’Aerópostale est peut-être la dernière grande épopée de l’ère de l’exploration.
Le long voyage de l’Aéropostale a commencé à Toulouse, dans le sud de la France. De là, il a traversé les Pyrénées jusqu’à Barcelone, a suivi la côte méditerranéenne de l’Espagne jusqu’à Alicante, puis vers l’Afrique du Nord, qui à l’époque était sous domination espagnole et française.
La ligne se poursuit vers le sud le long de la côte atlantique du Maroc, avec plusieurs points de cheminement en cours de route: Casablanca, Agadir, Cap Juby / Tarfaya et les villes actuelles de Dakhla, Nouadhibou et Saint-Louis, jusqu’à atteindre son terminus africain à Dakar, au Sénégal.
Compte tenu des limites des avions à l’époque, le courrier était ensuite chargé à bord des navires traversant l’Atlantique Sud au point le plus étroit, entre l’Afrique de l’Ouest et le nord-est du Brésil.
De là, la branche latino-américaine de l’Aéropostale a pris le relais. Ses avions transportaient le courrier à Buenos Aires et au-delà. La capitale argentine a servi de plaque tournante à partir de laquelle plusieurs routes régionales ont émergé, transportant le courrier aérien à travers les Andes à Santiago du Chili, au nord du Paraguay et au sud de la Patagonie.
Un aimant pour les aventuriers
Cet exploit n’était pas pour les âmes sensibles. Outre les dangers du vol dans les années 1920, qui était un travail plutôt dangereux et inconfortable, les pilotes de l’Aéropostale devaient traverser de vastes régions dans des conditions climatiques extrêmes et sans aucune infrastructure de soutien.
Mais cela peut aussi avoir fait partie du charme.
Les sommets des Andes de 20 000 pieds représentaient un formidable obstacle pour l’avion fragile de l’époque. Dans l’un des passages du livre, Saint-Exupéry raconte l’histoire de son proche compagnon Aéropostale Henri Guillaumet, qui, après avoir écrasé son avion sur un glacier andin, a passé plusieurs jours dans un trek épique à travers la neige et la glace. Il a réussi à atteindre une colonie argentine isolée alors qu’il était sur le point de succomber au froid et à la fatigue.
Ce genre d’épopée sera suivi de « Terre des Hommes » (traduit en anglais par « Wind, sand and stars »), sur l’expérience de Saint-Exupéry de voler dans le désert du Sahara. Les pilotes devaient se fier à la navigation primitive et il y avait souvent le risque de manquer de carburant ou de rencontrer des difficultés techniques. Les pilotes effectuant des atterrissages d’urgence dans le désert risquaient d’être capturés par des tribus nomades locales qui tentaient alors de les racheter.
Ce livre comprend également l’expérience de mort imminente de Saint-Exupéry, déjà dans sa période post-Aéropostale, après un atterrissage brutal dans le désert égyptien. Saint-Exupéry et son copilote ont enduré un voyage éprouvant dans le désert où ils étaient sur le point de mourir de soif avant d’être secourus par une tribu bédouine.

L’écrivain et aviateur français Antoine de Saint-Exupéry photographié vers 1935. Son livre le plus célèbre est « Le Petit Prince ».
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Cet esprit pionnier n’était pas réservé aux pilotes.
L’histoire de Raymond Galtié en est un bon exemple. Né en 1901 dans le sud de la France, il rejoint le bras sous-marin de la marine française à l’adolescence. Après avoir servi pendant les années de la Première Guerre mondiale, Galtié quitte la marine en 1922 pour rejoindre l’Aéropostale, où il travaille comme mécanicien.
«Les mécaniciens de l’époque volaient souvent avec des pilotes célèbres, comme Mermoz ou Saint-Exupéry. Ils ont développé des amitiés étroites parce qu’ils ont passé de nombreuses heures ensemble dans ces petits avions fragiles», explique Sònia Galtié, petit-fils de Raymond Galtié, récemment arrivée par un trésor de vieilles photos de famille.
Cela l’a amenée à approfondir ses recherches sur la vie de son grand-père et de l’Aéropostale. Elle est tombée sur plusieurs sites Web et forums qui célèbrent la mémoire de la compagnie aérienne et cette communauté soudée de personnes vouées à l’avancement de l’aviation.
Les fiançailles de Raymond Galtié avec l’Aéropostale ont eu une fin heureuse. Il a parcouru le monde, travaillant dans divers avant-postes de sociétés en Amérique latine et en Europe, puis s’est lancé dans une carrière fructueuse chez Air France.
Mais ce n’était pas le sort des pilotes les plus connus de l’entreprise.
Mermoz, Saint-Exupéry et Guillaumet finiront tragiquement leurs jours à la barre de leurs avions dans les années qui suivront la disparition de l’Aéropostale.
Ces deux derniers ont disparu alors qu’ils étaient en service en Méditerranée pendant la Seconde Guerre mondiale, respectivement en 1944 et 1940, probablement en raison de l’action ennemie (l’épave d’un avion retrouvé près de Marseille en 2003 a depuis été positivement identifiée comme un avion de Saint-Exupéry).
Mermoz a quant à lui été perdu en décembre 1936, lors de la traversée de l’Atlantique Sud, dans un accident que certains ont attribué au sabotage, bien que des problèmes de fiabilité du moteur aient pu être une cause plus probable.

En mai 1930, l’aviateur français Jean Mermoz (au centre) qui fut le premier pilote à voler de Rio de Janeiro à Santiago à travers les Andes.
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Un héritage durable
Bien qu’il soit resté inextricablement lié à l’industrie aéronautique tout au long de sa vie et a continué à construire l’une des plus grandes entreprises aérospatiales de France, le Groupe Latécoère, qui existe encore aujourd’hui, Pierre-Georges Latécoère a vendu en 1927 l’activité de poste aérienne à Marcel Bouilloux-Lafont, un Le financier et homme politique français qui lui a donné un nouveau nom: « Compagnie Générale Aéropostale ».
En 1930, l’Aéropostale était devenue une opération logistique massive, transportant 32 millions de lettres par an sur 17 000 kilomètres de routes aériennes et maritimes (l’Aéropostale exploitait également une flotte de huit navires) sur trois continents.
La même année, Jean Mermoz, l’un des pilotes légendaires de la compagnie, aurait franchi la brèche atlantique à la barre d’un hydravion Latécoère 28 chargé de 122 kilos de courrier. Il a fallu 19 heures et 35 minutes à Mermoz pour voler entre le Sénégal et le Brésil. Bien que les traversées océaniques régulières continuent à être effectuées par bateau, Mermoz a montré qu’il était possible pour une lettre de la France d’atteindre Santiago du Chili en seulement quatre jours.
Mais peu après avoir atteint son apogée, l’Aéropostale s’est soudainement repliée.
La crise financière de 1929 a eu un impact sévère sur la stabilité et l’instabilité politique au Brésil et en Argentine a ajouté aux malheurs. En 1931, le gouvernement français a rejeté la demande d’aide financière et peu de temps après, l’Aéropostale a été liquidée. Ses activités sont absorbées par le groupe de sociétés qui deviendra plus tard Air France.
Cependant, la marque Aéropostale a été conservée par Air France, qui l’a utilisée pour certaines de ses activités postales et fret, exploitées conjointement avec la Poste française (La Poste), jusqu’en 2000.
La Poste a ensuite pris la pleine propriété de l’entreprise, rebaptisée Europa Airpost, avant de la revendre, cette fois à une société irlandaise appelée ASL Aviation Group, qui opère jusqu’à présent des vols passagers et fret sous la marque ASL Airlines.
Le patrimoine de l’Aéropostale vit également dans l’hémisphère sud.
Le réseau argentin de la société, connu sous le nom d’Aeroposta Argentina, a continué à fonctionner même après la disparition de sa société mère européenne, car il fournissait le seul service aérien civil régulier du pays. Il sera finalement nationalisé et fusionné avec d’autres compagnies aériennes pour former Aerolineas Argentinas en 1946.
De plus, peut-être en raison des personnalités éblouissantes des personnes impliquées dans son exploitation et de l’extraordinaire travail littéraire qu’elles ont laissé derrière elles, la popularité d’Aéropostale a repoussé les limites du monde de l’aviation pour inspirer une chaîne de magasins de mode américaine (qui n’a aucun rapport avec l’original. Aéropostale, cependant).
Pourtant, rien ne vaut la vraie chose.